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décembre 2023
L’approche d’une nouvelle année est souvent le moment choisi pour effectuer une rétrospective sur celle qui vient de passer. À la shop, on peut dire qu’elle a été riche en défis, fructueuse en projets, et porteuse d’une énergie créative contagieuse. En effet, malgré la période climatique et économique préoccupante que l’on vit tous et toutes, nos artisans et artisanes ont su puiser dans leur ingéniosité et leur détermination pour rester à flots durant les turbulences. Nous vous invitons à les lire pour une dernière fois cette année, dans la douceur et la bienveillance, puisque c’est ce que nous vous souhaitons ces prochaines semaines et pour toute l’année qui suivra. Voici donc, côté pub, côté communications et côté humain, ce qui vaut la peine d’être mentionné (à notre humble avis). Joyeuses Fêtes!
Comme l’expliquait ma collègue Audrey dans un premier article sur ChatGPT, l’intelligence artificielle s’immisce de plus en plus dans le domaine de la publicité et de la création de contenus écrits. Bien qu’elle puisse accélérer la traduction, en plus d’automatiser et d’alléger certaines fonctions, son intégration soulève également des questions sur la possibilité d’une substitution de certaines tâches traditionnellement effectuées par les rédactrices et rédacteurs en agence. De ne pas se poser la question serait de jouer à l’autruche : devons-nous craindre cette montée fulgurante de l’intelligence artificielle en publicité, particulièrement en localisation?
Notre travail nécessite une sensibilité particulière aux nuances linguistiques et culturelles pour créer des messages mémorables; c’est ce genre de détails qui différencie une campagne percutante et une campagne générique.
Pour que l’IA puisse véritablement exceller en publicité, elle doit surmonter des défis particuliers, surtout dans des régions où la langue et la culture jouent un rôle central. Le Québec en est un très bon exemple, le français étant teinté de particularités linguistiques et la culture locale étant riche et unique. Pour être réellement efficace, l’IA devra maîtriser les subtilités de la langue française dans un contexte québécois et démontrer une compréhension approfondie des références culturelles locales. L’IA, bien que puissante, doit encore atteindre ce niveau de compréhension subtile et contextualisée pour véritablement exceller dans le domaine publicitaire, en particulier dans des marchés aussi distinctifs que celui du Québec.
J’ai joué un peu avec ChatGPT, et je lui ai demandé de rédiger une publicité de 30 secondes pour une compagnie de café en y injectant le plus de codes culturels et d’expressions d’ici possible. Après lui avoir fait faire plusieurs versions, outre « ouvrir le message sur une mélodie festive aux airs de folklore québécois, avec des images vibrantes de rues enneigées du Québec », l’outil n’était pas capable d’aller plus loin.
L’intégration croissante de l’IA offre, bien sûr, des avantages, mais elle ne peut remplacer l’être humain. La sensibilité culturelle et la créativité restent des domaines où les rédactrices et les rédacteurs excellent et sont difficilement remplaçables, surtout dans des contextes linguistiques et culturels particuliers comme celui du Québec. Nous surveillons de près l’évolution de l’IA en publicité, mais pour l’instant, rien à craindre en matière de localisation, parce que les expertes et experts du Québec, c’est nous!
Jessica Dubois Lefort, superviseure de comptes
La réponse courte : pas du tout.
Avant d’œuvrer dans le milieu publicitaire, j’ai étudié la linguistique. Pendant longtemps. J’ai complété en 2020 un doctorat sur les particularités linguistiques du français parlé au Québec et enseigné la linguistique du français québécois à l’université pendant plusieurs années. Qu’est-ce que je retiens de mon parcours de chercheure? Qu’au Québec, le sport national, ce n’est pas le hockey. Nenon. C’est s’inquiéter pour la langue française. À l’Assemblée nationale, dans les médias, autour de la table, dans les rues, tout le monde a une opinion.
D’un côté, on s’enflamme quand on constate à quel point sa qualité[1] laisse à désirer ici et, de l’autre, à quel point la langue de Shakespeare, les nouveaux arrivants, le bilinguisme, les institutions fédérales (alouette!) menacent la vitalité de ce « précieux bijou » importé du vieux continent qui nous fait sentir si uniques en Amérique. Mais la pire menace d’entre toutes : les jeunes! On les accuse de massacrer la langue française et d’ainsi mettre en péril son avenir. Ce reproche ne date pas d’hier : on a déjà accusé un jeune Molière et un jeune Michel Tremblay du même crime.
Sauf que… la langue est avant tout un outil, nous servant à entrer en relation avec les autres. Et la seule façon dont il peut être utile à ses locutrices et locuteurs, c’est s’il s’adapte à leurs besoins! Le meilleur moyen de faire disparaître une langue, c’est donc en faisant en sorte que les gens ne sentent plus le besoin de l’utiliser, et non pas s’ils la transforment en fonction de leurs besoins communicationnels. Pour pérenniser une langue, il faut l’encourager à évoluer.
Tout comme on célèbre les progrès technologiques (pourrait-on aujourd’hui se passer d’Internet, des avions ou de l’électricité?), pourquoi devrait-on glorifier une version fossilisée de la langue française, plutôt que les innovations linguistiques des jeunes qui tentent de s’approprier cet outil qui est le leur aussi?
Des études scientifiques[2] montrent que peu importe ce que l’école tente de leur inculquer comme norme, les jeunes font ce qu’ils veulent avec la langue parlée : terminaisons de verbe différentes, emprunts à l’anglais et à d’autres langues (créole haïtien, arabe, etc.), utilisation d’abréviations ou d’acronymes, etc.
Les publicités qui reflètent la culture locale en utilisant le langage approprié créent des liens forts avec les consommatrices et consommateurs. N’hésitons donc pas à s’adresser aux jeunes différemment qu’à leurs parents! Ce sont eux, après tout, les adultes de demain. On tutoie sur SnapChat et on vouvoie sur Facebook, par exemple. C’est assurément la recette gagnante d’une localisation publicitaire efficace!
Pour poursuivre la réflexion :
https://lactualite.com/societe/la-parlure-des-ados/
La baladodiffusion Ainsi soit-chill de Jérôme 50, offerte sur la plateforme OhDio.
Dre Béatrice Rea, conceptrice-rédactrice
[1] Pour les linguistes, il n’y a pas de jugement de valeur possible. On parle comme on parle, c’est tout. Toutes les façons de parler sont égales dans nos cœurs puisqu’elles suivent des normes au même titre que la langue écrite. Celles-ci sont simplement différentes, mais tout aussi régulières!
[2] Poplack, Shana. 2015. Norme prescriptive, norme communautaire et variation diaphasique
Je suis épicène, neutre ou non binaire. J’ai souvent des points médians ou des parenthèses et parfois, j’ai des doublets complets ou abrégés. Je prends de plus en plus de place dans les médias, autant en tant que sujet, que norme et pratique d’écriture. Qui suis-je? La rédaction inclusive.
Il est vrai qu’elle s’immisce dans l’espace médiatique, c’est pourquoi, en tant que partie intégrante de cet espace, il est important d’en parler, de comprendre ce qu’elle implique et de savoir comment l’utiliser.
Pour les gens qui ne savent pas de quoi il est question, voici une courte définition : la rédaction inclusive est une façon d’écrire qui reconnaît et inclut tous les genres lorsqu’un mot, qui définit une personne, doit être accordé en genre. Ainsi, le masculin ne « l’emporte » pas comme accord inclusif. Il y a plusieurs façons de s’y prendre, selon le contexte, le message, l’espace, etc., mais l’objectif, c’est que chaque personne sente qu’on s’adresse à elle.
Une écriture inclusive dans un message publicitaire peut permettre à une plus grande partie de la population de se sentir interpellée, par le simple fait qu’il ne s’adresse pas uniquement à un genre. Elle permet également de démontrer que l’entreprise est sensible non seulement aux enjeux sociaux, mais aussi à l’identité de son public, et qu’elle tient donc à créer un lien plus étroit avec celui-ci. Finalement, le message en tant que tel contribue à créer un espace médiatique plus inclusif et respectueux.
Il faut toutefois prendre en compte que l’écriture inclusive peut être un sujet brûlant. Certaines personnes trouvent qu’elle n’est pas nécessaire, qu’elle est complexe, politisée ou intrusive. Personne ne sait mieux que vous (et nous) à quel point nos choix linguistiques ont une incidence sur le comportement des consommateur·rice·s. Ainsi, lorsqu’on décide d’utiliser un langage inclusif pour annoncer un produit, il faut non seulement s’assurer de choisir la technique de rédaction qui convient le mieux au public ciblé, mais aussi de veiller à ce que la compréhension du message ne soit pas compromise.
Afin de démêler les procédés et les techniques, plusieurs autorités langagières ont conçu des guides de rédaction et les ont rendus accessibles sur Internet. Ce sont d’excellents outils pour comprendre les différents enjeux liés à la rédaction inclusive et découvrir ce qu’elle permet d’accomplir à plus grande échelle.
Une fois démystifiée, la rédaction inclusive est néanmoins une pratique que les annonceurs doivent considérer avec précaution, car elle vient avec tout un bagage.
Camille Roy-Tremblay, traductrice-réviseure
Laurent Dagenais, Cassandra Loignon, Trois fois par jour, Amine Laabi, Folks & Forks. Ces noms vous disent quelque chose? C’est fort probable, puisqu’ils font partie intégrante de la dynamique mosaïque que constitue le paysage culinaire québécois contemporain. Pourtant, si on regarde quelques décennies en arrière, le classique steak-blé d’Inde-patate était légion pour la grande majorité des familles. La fine cuisine existait, bien sûr, mais dans une moindre mesure. Elle était beaucoup moins populaire et accessible. Les émissions culinaires et les réseaux sociaux ont grandement contribué à donner à la gastronomie québécoise son statut de cool kid et à en actualiser le portrait.
Ainsi, on voit de plus en plus de créateur·trice·s de contenu culinaire réussir dans la province, mais également s’illustrer à l’extérieur de celle-ci. Ces foodies contribuent non seulement au rayonnement de l’industrie, mais aussi à celui de la culture québécoise. En effet, si le peuple québécois est reconnu pour sa légendaire joie de vivre, c’est en partie attribuable à son amour sans borne pour la nourriture. Parce que ce n’est pas un secret, la bouffe, ça rend heureux (du moins, celle d’ici!). De fait, même si nos revenus sont inférieurs à la moyenne canadienne, la nourriture ne fait pas partie des compromis qu’on est prêt·e·s à faire, puisqu’on dépense autant qu’ailleurs au pays pour nos aliments, que ce soit à la maison ou au restaurant. Pour les Québécois·es, manger est un plaisir de la vie beaucoup plus qu’une fonctionnalité.
Il s’agit d’une cuisine qu’on pourrait décrire comme étant conviviale, festive et sans prétention, mais surtout, une cuisine qui exploite fièrement ses produits locaux. Ces qualificatifs font également tous partie des traits distinctifs des Québécois·es, donc il y a sans contredit un lien identitaire à tracer ici. D’autre part, contrairement à ailleurs dans le monde, où la plupart des grands restaurants voient le jour par le biais d'investissements privés majeurs, bon nombre de restaurants québécois sont financés par... la passion et le p’tit cochon. C’est le cas de 57 % des propriétaires de restaurants d’ici. Donc, les agences de publicité du ROC qui souhaitent collaborer avec des influenceur·euse·s culinaires québécois·es doivent saisir les particularités de la scène gastronomique d’ici s’ils·elles veulent concevoir du contenu pertinent et attrayant. Quand ils·elles arrivent à comprendre l’importance et les attributs de la cuisine québécoise, on peut dire qu’ils·elles arrivent aussi à comprendre notre essence.
Par ailleurs, la gastronomie revêt une importance stratégique névralgique, à la fois pour le tourisme, mais également pour le développement du Québec et la dynamisation de ses régions. Un récent rapport révèle qu’après le coup de barre engendré par la COVID, le secteur se voit revitalisé par l’apport des jeunes, des femmes et des personnes racisées dans l’industrie. Ça augure bien pour l’avenir et ça donne le goût d’encourager les restaurants québécois (qui n’ont certainement pas la cote à l’échelle mondiale par hasard). Avez-vous un p’tit creux?
Sabrina Desjardins, superviseure de comptes
C’est bien connu : dans le monde du marketing, qui dit Noël dit… pub de Noël. Chaque année, cette période est particulièrement propice pour les marques de l’industrie alimentaire, qui tentent de se démarquer les unes des autres pour faire de leur produit l’incontournable de la tablée des Fêtes partout au pays. Mais ça ne suffit pas de créer une jolie petite campagne qui met en valeur nos plats traditionnels (ragoût, dinde et tourtière). En effet, il faut savoir se réinventer, adopter une approche différente pour se distinguer du bruit ambiant.
C’est dans cette optique que Snack Factory a donné le mandat à notre agence partenaire de lui concocter une offensive des Fêtes pas piquée des vers pour ses craquelins de bretzel Pretzel Crisps. La campagne est composée de messages ludiques de 15 et de 6 secondes, qui agencent des visuels appétissants à des lignes amusantes où jeux de mots et insights culturels se relaient pour mettre de l’avant les qualités distinctives de ces craquelins.
Dans une perspective de localisation, c’est toujours un défi d’adapter des lignes comportant des expressions idiomatiques, des références ou des figures de style. On veut notamment faire honneur au travail créatif qui a été fait par l’équipe anglophone et respecter l’intention du message original, tout en le rendant non seulement digeste pour un public francophone, mais aussi culturellement ancré et linguistiquement censé. Autrement dit, il s’agit de traduire l’essence du message plutôt que ses mots. Pour nous, chez TFS, ce genre de mandat n’est pas juste notre gagne-pain, c’est ce qui nous passionne, ce qui nous pousse à nous dépasser chaque jour.
Pour en revenir à nos craquelins, le défi était de rendre le ludisme de lignes comme « It can introduce your sister to a great gruyere/who’s not into crypto », qui présente non seulement un calembour (guy/gruyere), mais aussi une référence culturelle aux crypto bros. Dans la ligne en français, le gruyère devient un « beau grand Suisse », et exit la cryptomonnaie, le phénomène des crypto bros n’étant pas particulièrement répandu au Québec : « Il peut présenter votre sœur à un beau grand Suisse/qui chante pas la tyrolienne ». Avec cette adaptation, on reste dans la catégorie du dating, en remplaçant un archétype socioculturel anglo-saxon par un autre de la grande francophonie. Le tout, dans le but de susciter une image forte dans la tête du public et, bien sûr, de le faire sourire.
De plus, pour bien positionner la campagne au Québec, quoi de mieux qu’une voix bien connue d’ici? C’est effectivement Denis Bernard, vétéran des scènes de théâtre et des téléromans québécois, qui fait la voix hors champ de nos messages. Avec son timbre grave et réconfortant, il nous met réellement dans l’ambiance des Fêtes, tout en ajoutant la petite touche piquante et comique requise pour transmettre l’humour sous-jacent de la campagne.
Réunissez tous ces ingrédients et vous obtiendrez une campagne festive et craquante, qui fait changement du paysage publicitaire habituel, et qui vous donnera envie d’accorder une place de choix aux craquelins de bretzel parmi vos hors-d’œuvre cette année.
Catherine Renaud, conceptrice-rédactrice